Benoît Saint Girons |
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Les nouveaux maîtres du monde |
Et ceux qui
leur résistent |
Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, connaît parfaitement son sujet alors il n’y a pas de raison qu’il mâche ses mots : les maux engendrés par le capitalisme débridé sont contraires à l’esprit des lumières européen et toxiques pour l’homme. Nous sommes entrés dans une « troisième guerre mondiale », dans la dictature du TINA (« There is no alternative ») où, dans l’idéal totalitaire, l’homme ne sert qu’à consommer (s’il a la chance d’être né dans le Nord) ou produire (dans le Sud). Les Maîtres ou « prédateurs », ce sont les multinationales et les financiers, exclusivement occupés à multiplier leurs profits. Les « mercenaires » se couchent ou se prosternent devant les premiers : ce sont les organismes internationaux et les technocrates, bien sûr, mais de plus en plus souvent aussi des hommes politiques. « On n’a pas le choix. On ne peut rien faire d’autres ! » se défendent-ils. Ce n’est heureusement pas l’avis de la « nouvelle société civile planétaire » qui entend redonner au monde un soupçon de démocratie et d’humanité : de plus en plus de personnes se libèrent et se lèvent pour clamer et réclamer une autre société, un autre système. Jean Ziegler leur rend hommage et invite à scruter l’aube avec optimisme. Les nouveaux maîtres du monde ne sont pas encore maîtres de tous les esprits... |
Préface : l’histoire mondiale de mon âme |
Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse du sous-développement sont la faim, la soif, les épidémies et la guerre. Ils détruisent chaque année plus d’hommes, de femmes et d’enfants que la boucherie de la Seconde Guerre mondiale pendant six ans. […] Chaque jour sur la planète, environ 100 000 personnes meurent de faim ou des suites immédiates de la faim (p13) Au stade atteint par ses moyens de production agricole, la terre pourrait nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains (p15) Commentaires du Mendiant : le problème ne vient donc pas de la surpopulation mais de la surexploitation des faibles par les puissants. |
Première partie : La mondialisation. Histoire et concepts I. Une économie d’archipel |
Dans leurs colonies d’outre-mer, les seigneurs ont pratiqué dès la fin du XV siècle un pillage systématique. Celui-ci est au fondement de l’accumulation primitive du capital dans les pays de l’Europe. Karl Marx écrit : « Le capital arrive au monde suant le sang et la boue par tous les pores. » (p29) Le capital en circulation lui-même est virtuel, actuellement dix-huit fois plus élevé que la valeur de tous les biens et servies produits pendant une année et disponibles sur la planète (p35) La réalité du monde mondialisé consiste en une succession d’îlots de prospérité et de richesse, flottant dans un océan de peuples à l’agonie. (p38) Commentaires du Mendiant : Avec le réchauffement climatique, ces îlots finiront-ils submergés ? |
II. L’Empire |
L’arrogance de l’empire américain est sans limite. Ecoutons sa proclamation : « Nous sommes au centre et nous entendons y rester […]. Les Etats-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique et militaire du droit et de la force, et servir d’exemple à tous les autres peuples. » Qui a dit cela ? […] L’auteur s’appelle Jesse Helms. De 1995 à 2001, il a présidé la commission des Affaires étrangères du sénat américain (p44) « Comment faut-il comprendre l’administration Bush ? » Sans hésiter une seconde, Normand me répondit : « It’s oil and the military » (p49) Commentaires du Mendiant : Et ils osent parler de moral ? |
III. L’idéologie des maîtres |
La naturalisation de l’économie est l’ultime ruse de l’idéologie néo-libérale. (p69) En 2002, 20% de la population du monde accapare plus de 80% de ses richesses, possède plus de 80% des voitures en circulation et consomme 60% de l’énergie. Les autres, plus d’un milliard d’hommes, de femmes et d’enfants, doivent se partager 1% du revenu mondial (p75) En 2001, un enfant mourrait toutes les 30 secondes du paludisme (p76) Commentaires du Mendiant : Le marché ou le système n’ont rien de naturel : ils sont ce que les puissants décident d’en faire ! |
Deuxième partie : Les prédateurs I. L’argent du sang |
On connaît le mot de Chateaubriand : « Neutres sans les grandes révolutions des Etats qui les environnaient, les Suisses s’enrichirent des malheurs d’autrui et fondèrent une banque sur les calamités humaines. » L’oligarchie financière règne, sans partage. Grâce à un système bancaire hypertrophié, grâce aussi à ces institutions que sont le secret bancaire et le compte à numéro, cette oligarchie fonctionne comme le receleur du système capitaliste mondial. (p100) Selon la CNUCED, il existe 63 000 sociétés transnationales contrôlant 800 000 filiales actives autour de la planète (p108) Jean-Jacques Rousseau : « Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne. » (p115) Commentaires du Mendiant : Le problème des prédateurs, c’est qu’ils ne font davantage dans la psychopathie que dans la philosophie… |
II. La mort de l’Etat |
S’adressant aux dirigeants d’Etat rassemblés [lors du World Economic Forum de Davos en février 1996], Tiermeier [le président de la Bundesbank allemande] conclut son exhortation : « Désormais, vous êtes sous le contrôle des marchés financiers ! » Applaudissements nourris. (p122) Commentaires du Mendiant : Il y a effectivement de quoi se réjouir... |
III. La destruction des hommes |
Le système fonctionne à merveille : lorsque les jouets arrivent dans les magasins de Berlin, de Paris, de Rome ou de Genève, les coûts salariaux atteignent à peine 6% du prix de vente (p135) Pour les spéculateurs, la création de centaines de milliers d’emplois tient du cauchemar. L’augmentation de la consommation intérieure aussi. Elles annoncent toujours une possible reprise de l’inflation, et l’augmentation probable des taux d’intérêt. Et par là, un déplacement massif des capitaux spéculatifs du marché des actions vers le marché monétaire, vers les obligations et les municipal bonds. […] Environ 1 000 milliards de dollars ont été échangés chaque jour ouvrable durant l’année 2001 […] 87% du montant total relevant de la pure transaction monétaire, sans création de valeur (p140) Commentaires du Mendiant : Chez les esclavagistes, le travail n'a jamais été une valeur très porteuse... |
IV. La dévastation de la nature V. La corruption VI. Les paradis des pirates |
Au sens littéral du terme, les prédateurs sont aujourd’hui en train de détruire la planète (p149) La Banque mondiale estime à plus de 80 milliards de dollars par an les sommes affectées aux transactions de corruption (p151) Pour la plupart des pirates, il est ontologiquement intolérable
de payer des impôts […] Le seigneur se regarde lui-même comme
l’unique moteur de l’économie, et considère les fonctionnaires de
l’Etat comme des êtres inutiles, gaspilleurs, improductifs,
arrogants et pour tout dire : nuisibles (p168) Eckart Werthebach,
l’ancien chef du contre-espionnage allemand, constate : « Par sa
puissance financière gigantesque, la criminalité organisée influence
secrètement toute notre vie économique, l’ordre social,
l’administration publique et la justice. » (p174) |
Troisième partie : Les mercenaires I. L’OMC comme machine de guerre |
A l’OMC, ce sont certes les représentants des Etats qui négocient, mais ils le font de fait, la plupart du temps, au nom des sociétés transcontinentales qui dominent leurs économies nationales respectives (p186) Susan George résume par une jolie formule cette tare initiale de l’OMC. « La réalité du commerce actuel s’explique ainsi : lorsqu’un produit arrive sur le marché, il a perdu tout souvenir des abus dont il est la conséquence, tant sur le plan humain que sur celui de la nature. » (p198) L’hémisphère sud abrite 87% des paysans du monde. Les pays du Nord […] ferment leurs marchés aux produits agricoles et agro-alimentaires du Sud (p201) Il faut donc d’urgence supprimer l’OMC. Attac-France résume mon propos : « Du commerce : oui. Des règles : oui… mais certainement pas celles de l’actuelle OMC. » Commentaires du Mendiant : OMC = Omerta des Manipulations Commerciales |
II. Un pianiste à la Banque mondiale |
Mais beaucoup d’autres ONG sont d’origine et de composition ambiguës, douteuses, et elles se conduisent parfois de manière franchement crapuleuse. C’est ainsi que nombre d’entre elles procèdent des plus grandes sociétés capitalistes transcontinentales, qui financent chacune une, deux, voire plusieurs ONG qu’elles ont créées de toute pièces (p216) Les chances des Pygmées-Bagyeli face à James Wolfensohn [pianiste et président de la Banque mondiale] et aux pétroliers sont minces. D’astronomiques profits sont en jeu : les revenus des dix ans à venir du bassin de Doba et de l’oléoduc sont estimés à plus de 10 milliards de dollars. Selon les contrats actuellement en vigueur, les trois quarts de cette somme reviendront aux sociétés multinationales pétrolières (p222) Commentaires du Mendiant : C'est moins du piano que du pipeau! |
III. Les pyromanes du FMI |
Les privatisations sont au cœur du dogme des maîtres et de leurs mercenaires. Chaque fois qu’un ministre quémandeur se rend à Washington pour obtenir une rallonge de crédit, les charognards du FMI lui arrachent un nouveau lambeau de l’industrie ou du secteur public de son pays (p235) Les mercenaires du FMI se disent apolitiques. C’est un grossier mensonge. Dans la pratique, le FMI est en effet au service direct et constant de la politique extérieure des Etats-Unis (p241) Commentaires du Mendiant : Pas besoin de l'intervention du FMI pour que des gouvernements sacrifient les entreprises publiques sur l’autel du marché… |
IV. Les populations non rentables |
Or, ignorant superbement ces magnifiques traditions, les satrapes du FMI ont imposé la privatisation de l’Office nationale vétérinaire du Niger (ONVN) et des pharmacies vétérinaires publiques. Résultat ? […] tous les produits pharmaceutiques vétérinaires sont maintenant vendus par des représentants locaux de sociétés transnationales pharmaceutiques ou par des commerçants privés […] les prix sont tels que la plupart des éleveurs ne peuvent les payer […] des troupeaux entiers disparaissent […] des centaines de milliers de familles d’éleveurs perdent leur gagne-pain et viennent grossir les masses miséreuses des villes. Pourtant, même dans le malheur, les Nigériens conservent un grand sens de l’humour : ils appellent les grandes banques créancières les « talibanques », et le dollar qui les terrorise le « mollah dollar »… (p251-252) Commentaires du Mendiant : Mais que fait Brigitte Bardot ? |
V. L’arrogance |
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Quatrième partie : Démocratiser le monde I. L’espoir : la nouvelle société civile planétaire II. Le principe de générosité |
Le capitalisme contemporain est stupide et cynique, il a complètement oublié ses origines protestantes. Il n’y a rien à attendre de lui. Il faut le combattre, l’isoler et le disqualifier. (p278) L’idéologie néo-libérale comble d’aise les nantis. Elle met
leurs richesses en sûreté (p285) En réalité, l’individu fabriqué par
le capital mondialisé est réduit à sa pure fonctionnalité. Il a
l’impression d’être libre parce qu’il ne peut reconnaître, dans le
dédale des déterminismes marchands qui s’exercent sur lui,
l’aliénation qui le gouverne et qui le prive de son individualité
[…] Plus intense est l’intérêt que l’individu témoigne aux objets,
plus ces objets le domineront, plus son esprit sera transformé en un
automate de la raison formalisée (p294) |
III. Les fronts de résistance |
A la grande manifestation contre le Sommet du G-8 à Gênes, en juillet 2001, les 200 000 participants représentaient plus de 800 mouvements populaires, syndicats et ONG différents, venus de 82 pays. Commentaire du Mendiant : la plus grande force d’action pour changer le système, ce sont les consommACTEURS ! |
IV. Les armes de la lutte |
Noam Chomsky […] évoque les trois formes qu’a successivement commues le pouvoir totalitaire aux XX et XXI siècles : le bolchevisme, le nazisme et le TINA. TINA est l’abréviation anglaise pour There is no alternative (« Il n’y a pas d’alternative »). Le pouvoir du TINA est au fondement de l’empire des prédateurs. Pour Chomsky, l’énoncé fondateur du TINA est le suivant : « Il n’y a pas d’alternative au système émergeant du mercantilisme mis en place par les entreprises s’appuyant sur l’Etat et décliné à l’aide de différents mantra tels mondialisation et libre-échange. » A l’opposé du TINA, il y a la revendication de l’impératif moral qui sommeille en chacun de nous. L’homme est le seul sujet de l’histoire. De son histoire propre comme de l’histoire du monde. (p315) Commentaires du Mendiant : Les victimes du TINA sont plus éloignées et plus discrètes que sous les autres dictatures... |
V. La terre et la liberté En guise de conclusion : L’aube |
« Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres » (Georges Bernanos) (p349) J’ai fréquemment, dans ce livre, recouru à l’expression « capitalisme de la jungle ». Lorsque les fonctions normatives de l’Etat sont paralysées et que s’affirme le capital financier, la société elle-même se défait, la jungle menace. Une régression se produit : le gladiateur devient la figure emblématique du modèle social dominant. Le fort a raison, le faible a tort. Toute défaite est méritée et ne trouve son explication que dans les faiblesses du sujet défait lui-même. Les principes fondateurs de la doxa néo-libérale […] contredisent radicalement toutes les valeurs héritées du siècle des Lumières. Or, ces valeurs constituent le fondement de la civilisation européenne (p352) A l’intérieur de chaque pays du monde et conformément aux règles fixées par l’OMC, chaque entreprise transnationale peut exiger de bénéficier du « traitement national élargi ». […] Interdiction est faite à tout gouvernement de favoriser […] tel ou tel secteur particulier de son économie nationale. Mener une politique économique nationale n’est donc plus possible. (p355) La souveraineté conquise par les « gigantesques personnes immortelles » […] s’impose par la violence. Elle n’a que faire des droits de l’homme, des libertés publiques, de l’autonomie des citoyens. Elle engendre l’aliénation et l’esclavage. (p356) Franz Hinkelhammert écrit : « Qui ne veut pas créer le ciel sur terre y crée l’enfer. » (p358) Commentaires du Mendiant:
« Il est évident que la loi de la jungle plaît aux puissants :
soit j’y arrive et je deviens plus performant, plus riche et plus
consommateur, soit je n’y arrive pas et je deviens alors frustré,
mais tout autant consommateur afin d’oublier mes frustrations. »
(La bibliothécaire) |
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